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La poudre noire
Envoyé par Kalimèra 
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La poudre noire il y a seize années
La poudre, mélange de salpêtre, de soufre et de charbon de bois, fut, dit-on, inventée vers le Xe siècle par les Chinois qui l'utilisèrent à l'origine pour en faire des feux d'artifice.

A cette époque, sa fabrication n'était pas chose simple. Les matières de base étaient loin d'être pures et il manquait les bases théoriques et les moyens matériels pour les raffiner.

Les premiers mélanges étaient réalisés en proportions arbitraires, dans l'état naturel des produits, grossièrement pilés et brassés à la main. Suivant le dosage, on pouvait montrer des colonnes de feu et de fumée, des flammes éblouissantes et faire parfois entendre des explosions formidables.

Mais, si de longue date, des mélanges incendiaires étaient connus des Chinois, c'est aux Arabes que revient le mérite d'avoir accru la puissance d'expansion, en utilisant du salpêtre purifié, plus ou moins exempt de sels non carburants. Peut-être ont-ils été les premiers à réaliser les premiers essais sérieux d'utilisation des propriétés motrices ou balistiques pour le lancement de projectiles fort inoffensifs d'ailleurs ?

Une combustion est une oxydation dont la vitesse est fonction de la quantité d'oxygène apportée à la réaction. Dans la poudre à canon, c'est le salpêtre ou nitrate de potassium qui joue ce rôle d'oxydant.

La recette parvint en Occident par l'intermédiaire des Persans et peut-être des Arabes. Les Européens, eux, en firent de la poudre à canon !

La première référence écrite (1249) nous vient d'Angleterre, où le moine Roger Bacon (1214-1292) composa la formule de la poudre et décrivit sa réaction quand on l'allumait. La puissance (toute relative) de celle-ci l'effraya au point qu'il entoura sa formule de mystère. L'idée ne lui vint cependant pas que les gaz en expansion puissent être utilisés pour la projection d'un boulet.

Les Allemands, quant à eux, se basent sur un écrit du maréchal de Tavanes, qui "suggère" que la poudre à canon fut inventée en Allemagne, ceci avec d'autres "diableries" issues du luthérianisme. En effet, vers 1250, Albertus Magnus donnait une recette d'un mélange analogue à celui de Bacon.

Par contre, c'est à tort que l'on porte cette invention au crédit du moine bavarois Bethold Schwarz (1310-1384); celui-ci, par contre, fondit les premiers canons en bronze.

Il semble que l'on peut considérer que la date de la connaissance de la poudre noire correspond en gros à la huitième et dernière croisade, et l'on peut établir de façon certaine que la recette en était connue en Europe à partir de la seconde moitié du XIIe siècle, sans doute vers 1270.

Mais si la recette était connue, elle n'est divulguée qu'avec réticence car ... la présence du soufre ne pouvait laisser augurer rien de bon sur son origine (intervention de Satan en personne). Clément Bosson laisse entendre que l'Eglise essaya même d'"étouffer l'affaire". Ceci n'est pas impossible car, de 1270 à 1326, soit durant soixante ans, un silence absolu se fit sur les propriétés diaboliques de cette poudre. Ce n'est donc que très lentement que l'on arrivera aux mélanges détonants, résultat d'une grande expérience reprise au début du XIVe siècle, comme le prouvent les écrits de l'époque qui nous informent des premiers essais d'utilisation de ta force expansive des gaz.

Personne ne peut donc prétendre à l'invention de ta poudre.

Vers la naissance des armes à feu.

Vers l'année 850, les Grecs utilisèrent une composition de poudre placée dans un roseau ou dans un bâton creux. Enflammé, ce mélange détonnant s'envolait dans une direction choisie : "le feu volant" était né. En mélangeant des salpêtres, la construction d'une fusée qui devait avoir la plus grande ressemblance avec celle de nos actuels feux d'artifice était réalisée.

Les Byzantins, les premiers, dirigèrent la fusée, soit en la tenant à la main, soit en l'attachant à l'extrémité d'une pique.

Aux Xe et XIe siècles, les Grecs disposaient d'abord des "feux volants" qu'ils lançaient dans la direction de l'ennemi, puis d'une petite fusée à main, dont ils dardaient la flamme vers le visage de leurs adversaires, enfin de grosses fusées chargées dans des cartouches solides en airain et qui étaient attachées sur une sorte d'affût mobile permettant ainsi de diriger le jet de flammes.

En 1249, les Egyptiens utilisent des projectiles, nommés "Scorpions", formés d'une cartouche ficelée et remplie de poudre, qui rampent et murmurent, éclatent et incendient.

En 1290, les mêmes Egyptiens assiègent Ptolemaïs et incendient les tours avec trois cents "machines à jeter des feux".

Ainsi, durant cette longue période qui s'étend du VIle au XIVe siècles, les armes de jet et de main sont de plus en plus remplacées par des armes utilisant le feu.

Les belligérants usaient de mélanges explosifs de diverses manières.

Par exemple :

- Ils armaient les piques, javelots et flèches avec des pelotes incendiaires ou des lances à feu.

- Ils tiraient à l'aide de leurs anciennes machines, des pierres et autres projectiles, des pots, des marmites incendiaires et des pétards.

- Ils jetaient à la main ou avec des machines, des feux volants dans les rangs de l'ennemi.

- Au moyen de grosses fusées placées sur les remparts des villes ou à bord des vaisseaux, ils dardaient sur l'ennemi de puissants jets de flammes.

- A l'aide de tubes appelés "baston à feu", ils projetaient coup par coup, à une faible distance, un nombre plus ou moins grand de projectiles incendiaires ou détonants.

Les engins précurseurs des bouches a feu

A l'instar de l'histoire de la poudre, celle de l'artillerie se compose de faits incomplètement définis et de légendes entourées de mystère.

Tout comme l'alchimie, elle a été la passion de chercheurs empiriques de la basse antiquité et du moyen-âge.

Les documents anciens écrits ou dessinés n'ont laissé de la naissance de l'artillerie à feu que des informations prêtant à des interprétations diverses, les ouvrages retrouvés manquant de précision.

Les premiers "canons" apparaissent sous forme de vases ou de bouteilles qui servaient principalement à lancer des flèches incendiaires par-dessus les murs d'enceintes des villes ou des châteaux assiégés. En fait. c'est par l'emploi d'artifices aux formes variées et améliorées, cités par l'histoire, que les premiers exploits de l'artillerie nous sont connus.

A titre d'exemples, voici quelques événements ayant eu lieu bien avant le XIVe siècle :

- En 941, les Grecs incendient une partie des dix mille barques du tzar Igor, avec des feux projetés au moyen de tubes et que les Moscovites comparent aux éclairs.

- En 1073, Salomon, roi de Hongrie, attaque Belgrade avec des bouches à feu.

- En 1085, les Tunisiens ont sur leurs vaisseaux des machines lançant du feu avec un bruit de tonnerre.

- En 1098, au combat naval livré aux Pisans, les Grecs ont des tubes à feu figurant des têtes d'animaux.

- En 1147, les Arabes emploient des bouches à feu contre Lisbonne.

- En 1193, les Dieppois se défendent contre les Anglais avec des feux volants.

- En 1220, les Arabes ont des tubes lançant des projectiles.

- En 1232, les Tartares et les Chinois se combattent avec des tubes à feu.

- En 1238, Jacques 1er d'Aragon tire sur Valence des projectiles incendiaires.

- En 1247, Séville se défend avec des machines tonnantes dont les projectiles percent les armures.

- Des manuscrits arabes du début du XIVe siècle mentionnent l'utilisation de la poudre renfermée dans des récipients en fer. Ceux-ci étaient fixés au bout d'une hampe et étaient capables de lancer à bout portant des battes en fer. Ces engins sont désignés sous le nom de Mad-Faa.


Mad Faa

Les armes à feu employées en Europe dérivent de ces Mad-Faa arabes. Montées sur un fût en bois, elles exigeaient deux hommes pour leur mise en service : l'un soutenait et dirigeait l'arme, l'autre mettait le feu. Leur usage se répandit lentement et, pendant tout le XIVe siècle, on ne rencontra guère que des tubes de petit calibre. Leurs noms divers expliquent leur forme : baston à feu, tuyau, boîte à tonnerre.

De ces derniers engins à l'arquebuse et surtout au futur canon, il n'y aura qu'un pas à franchir.

Pour faire ce pas, il faudra d'abord raffiner le salpêtre, puis trouver un métal approprié à la construction des premières bouches à feu et. enfin, définir le projectile.


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Antoine de Saint Exupéry
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Re: La poudre noire il y a seize années
Les mélanges de charbon et de soufre était utilisés comme produits incendiaires depuis l'antiquité par les chinois, par les peuples d'Asie mineure (Mongols), et par les Méditéranéens. En 642, des "feux grégeois" composés de naphte, de goudron, de soufre, de résine et de salpêtre sont utilisés au siège de Constantinople pour mettre le feu aux navires de la flotte assiégeante. En 850, les Grecs usaient d'un mélange de poudre de charbon et de soufre comme d'une variante du feu grégeois : le "feu volant" est réalisé en remplissant de ce mélange un roseau creux. On y met le feu avant d'envoyer le projectile enflammé sur l'ennemi ou sur la maison à incendier. Les feux volants et les bouches à feu sont souvent mentionnés à l'occasion de sièges ou de batailles navales dès le 9eme siècle .

La première recette chinoise écrite de poudre noire est donnée dans un manuel militaire imprimé en 1044 durant la dynastie des Sung (960-1279) mais d'autres textes, antérieurs de plusieurs siècles et écrits par des alchimistes, décrivent des expériences concernant la combustion rapide de mixtures à base de soufre et de salpêtre.
Les chroniqueurs chinois font état de l'utilisation de fusées de guerre chargées à la poudre noire contre les envahisseurs mongols en 1279.

Les Arabes auraient connu la poudre noire et les fusées chinoises vers le 12e siècle. Le premier texte arabe connu faisant mention du salpêtre date de 1225. Il est aussi mentionné par l'alchimiste arabe sévillanais Al-Baytar en 1248 qui le nomme "La neige de chine".

Pour alimenter leurs boîtes à feu (Mad-Foa) les arabes améliorent la formule de la poudre en augmentant la quantité de salpêtre et surtout en purifiant celui-ci à l'aide d'une lessive de cendres de bois. C'est peut-être à eux que revient l'idée d'utiliser la poudre comme charge propulsive puisque des documents arabes attestent de l'utilisation de "machines tonnantes dont les projectiles percent les armures", dès 1247 à Séville. La paternité de l'artillerie peut tout aussi bien être attribuée aux Mongols, puisque les textes mentionnent l'utilisation de la poudre en 1232 au siège de Kai-Fang-Fu pour propulser des flèches incendiaires.

La poudre arrive en Europe au début du 13ème siècle, probablement apprise des arabes à l'occasion des croisades. En 1230, un certain Marcus Graecus fait paraître un livre en latin : Liber ignium ad comburendos hostes (Livre des feux pour brûler les ennemis) dans lequel il publie pour la première fois en occident la composition de la poudre noire, soit 1 partie de soufre, 2 parties de carbone et 6 parties de salpêtre, assez voisine de ce qui sera considéré comme les proportions standards plus tard (1-1-6). Le moine franciscain Roger BACON (1214-1294) décrit une composition identique en 1248 mais il est probable qu'il la tient lui-même de la lecture de l'ouvrage de Marcus Graecus. " Vous pouvez, dit-il, exciter du tonnerre & des éclairs quand vous voudrez; vous n'avez qu'à prendre du soufre, du nitre, & du charbon, qui séparément ne font aucun effet, mais qui étant mêlés ensemble & renfermés dans quelque chose de creux & de bouché, font plus de bruit & d'éclat qu'un coup de tonnerre ".


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Antoine de Saint Exupéry
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Re: La poudre noire il y a seize années
a poudre va faire l'objet d'expérimentations et de progrès considérables. Jusqu'au 15eme siècle, la poudre des origines est un pulvérin, un mélange fin de soufre, de charbon de bois broyé et de salpêtre à raison de 3/4 de salpêtre, 1/8 de charbon de bois, 1/8 de soufre environ, avec de sensibles variations selon les producteurs. Son pouvoir propulsif est très faible (comparée à une poudre moderne) et surtout ce mélange est très irrégulier. Les chroniqueurs relatent que parfois le boulet expulsé du canon roule au sol sur quelques dizaines de mètres, et d'autres fois (souvent !), le canon explose lors de la mise à feu. Jusqu'en 1430 environ, ce pulvérin est préparé sur le champ de bataille: on transporte séparément les trois composants qui sont mélangés au moment de charger la bouche à feu à raison d'une mesure de charbon végétal, une mesure de soufre et six mesures de salpêtre.

Le progrès essentiel va être la granulation de la poudre, qui apparaît au 15eme siècle (premier texte connu mentionnant la granulation datant de 1429).
Après bien des tâtonnements l'habitude se prend de mouiller la poudre fine résultant du broyage de ses constituants avec de l'eau additionnée d'alcool ou de vinaigre. Une fois sèche, cela donne une sorte de galette que l'on soumet ensuite à un broyage limité. Deux méthodes sont utilisées par les premiers "charbonniers" produisant la poudre. Dans la première méthode, le pulvérin est humecté, placée dans un sac de toile et roulé à la main. En roulant plus ou moins longtemps et en serrant les doigts plus ou moins fort sur la toile, on obtient des "boulettes" de poudre agglomérées plus ou moins grosses.

Selon la seconde méthode, les trois composants sont placés dans un mortier. Le mélange est mouillé à l'eau puis battu longuement au pilon.
Le résultat est ensuite passé à travers des tamis : celui à mailles fines donne le pulvérin nécessaire pour emplir le bassinet; celui à mailles larges élimine les fragments trop importants : on procède ainsi à une calibration des grains de poudre noire. Grâce à ces opérations, la poudre est conditionnée en grains suffisamment gros pour laisser des interstices entre eux. Grâce à ces interstices au sein de la charge, l'inflammation se propage avec beaucoup plus de rapidité et de régularité. Les grains fins donnent des poudres vives qui brûlent vite, les gros grains donnent des poudres plus lentes. Précisons pour les habitués des poudres modernes : au 15eme siècle, la poudre en grains utilisée dans les bombardes ou veuglaires est composée de grains de la taille moyenne de lentilles.

Très vite, les artificiers vont explorer empiriquement les relations entre la finesse du grain de poudre et la puissance propulsive obtenue pour un calibre et une longueur de canon donnés. On sait maintenant que le grain optimum est celui qui assure la combustion complète de la charge en un temps juste inférieur à celui mis par le projectile pour parcourir la longueur du canon. La vitesse de combustion étant inversement proportionnelle à la grosseur des grains, celle-ci devait diminuer avec le calibre et la longueur du tube.

Pourtant, le principe de proportionner la grosseur du grain, et partant la vitesse d'inflammation, au calibre de l'arme, ne fut pas admis par tous comme une évidence. Sully, ministre d'Henri IV, nommé Grand maître de l'artillerie et Grand voyer de France en 1599, souhaite imposer une seule grosseur de grain, tant pour les canons que pour les mousquets, au nom de la simplification des approvisionnements. Fort heureusement, notre grand surintendant des finances eut au cours de sa carrière quelques idées mieux venues...

Quoiqu'il en soit, au début du 16eme siècle, le principe de la granulation de la poudre, et de la taille des grains proportionnée au calibre de l'arme était bien établi, même si beaucoup de progrès restaient à faire sur les méthodes de fabrication de la poudre noire. Sans aller jusqu'à la simplification extrème souhaitée par Sully, mais toujours dans le souci de ne pas multiplier les qualités à utiliser en opérations, la poudre noire se présentera pendant plus de deux siècles sous trois formes : le pulvérin fin du bassinet de mise à feu; les petits grains pour armes individuelle; les gros grains pour l'artillerie.
La fabrication de la poudre et de ses ingrédients à l'age classique

La production d'une poudre de bonne qualité nécessite de résoudre cinq familles de problèmes : produire un charbon de bois de bonne qualité, se procurer un soufre exempte de matières grasses, produire un salpêtre (nitrate de potassium) le plus pur possible, réaliser le mélange et granuler la poudre sans faire tout sauter, et enfin conditionner la poudre, la stocker et l'expédier aux armées aux moments et sur les lieux où elle est demandée. Entre le 15e et le 19e siècle, les européens vont déployer de grands efforts pour résoudre ces difficultés et mettre au point des méthodes de fabrication efficaces.

Pour comprendre l'ampleur des problèmes à résoudre, il faut préciser qu'à l'age classique, les besoins en poudre noire sont considérables. Pour donner des ordres de grandeur, en 1689, les arsenaux de l'artillerie française contenaient 10.264.005 livres de poudre, et pendant la décennie la consommation annuelle est de l'ordre de 4 à 800.000 livres pour la France, l'activité militaire étant intense à cette époque (guerre de Hollande, guerre de la ligue d'Augsbourg, guerre de succession d'Espagne). Pendant tout l'ancien régime, du 16eme au 19eme siècles, il ne s'agit donc pas de produire quelques quinteaux de poudre, mais bien des centaines de tonnes par an, et des milliers de tonnes si l'on raisonne à l'échelle de l'Europe.
Le carbone végétal

Le carbone entre dans la composition de la poudre noire sous forme de charbon de bois réduite en poudre fine. De nombreuses essences de bois permettent de produire des charbons de plus ou moins bonne qualité. Après essais (le tilleul et le saule seront essayés avec quelques succès) et dès le 15e siècle, il est universellement reconnu que le meilleur charbon pour fabriquer la poudre noire est celui obtenu à partir du bois de bourdaine. La bourdaine (Frangula Alnus), aussi appelé nerprun bourdainier, aulne noir ou coudrier noir, est un arbrisseau de 1 à 5m assez répandu dans nos régions tempérées. On en trouve dans les haies, les prairies humides, les lisières de bois.

Le charbon de bois est obtenu en carbonisant du bois de manière contrôlée en l'absence d'oxygène. Le procédé permet de retirer du bois son humidité et la matière végétale volatile afin de ne laisser que le carbone. La carbonisation était réalisée par des charbonniers directement dans la forêt dans des charbonnières, fosses de plusieurs métres de long où l'on empilait branches effeuillées et troncs sur un lit de charbon de bois avant de tout recouvrir de terre. Après mise à feu du lit de charbon de bois, on fermait le manteau de terre, et l'art du charbonnier consistait à régler les cheminées ménagées dans la couverture de terre aux extrémintés de la fosse pour assurer un tirage suffisant pour la carbonisation mais trop faible pour laisser se developper une vraie combustion. Il devait aussi déterminer le moment optimum pour mettre fin à l'opération par étouffement du feu, pour obtenir un charbon parfaitement sec mais sans trace de combustion.

Traditionnellement, ces opérations devaient avoir lieu au début du printemps, à l'époque de la montée de sève. L'opération durait environ une quinzaine de jours.

Les difficultés de l'exploitation de la Bourdaine

Pour être utile à la production du charbon de bois, un arbuste de bourdaine doit avoir au moins trois ans. De plus, le bois jeune est également utilisé en vannerie. Au 17eme siècle (avant aussi peut-être ?) le Roi va tenter d'organiser l'exploitation des bourdaines et de s'en réserver le monopole. Des arrêts royaux (1689, 1709) imposent aux adjucataires des coupes de bois de séparer la bourdaine des autres bois et prévoient de lourdes amendes à ceux qui n'obéiront pas. Les vaniers sont particulirement visés, les arrêts royaux leur interdisant explicitement d'user de bourdaine sous peine de devoir payer 300 livres d'amende.
Le soufre

Le soufre est un élément chimique qui se présente sous forme de cristaux jaunes à l'état natif. On le récolte en grosse quantité depuis l'Antiquité dans les régions volcaniques. Au 9e siècle AV JC, Homère mentionne déjà le soufre comme éloignant la vermine, et l'usage de mélanges incendiaires à base de charbon, de soufre et de goudron est attesté dès -424. Certains sites produisent un soufre plus pur que d'autres, et dès le 15e siècle les artificiers se plaignent " du soufre gras qui pourrit la poudre ", et recommandent d'utiliser le soufre de Sicile.
Pendant toute l'époque étudiée (14 au 18e siècle) le soufre est importé des régions volcaniques du sud de l'Italie, région de Naples, Sicile, coteaux de l'Etna.
Le salpêtre

Le salpêtre (sel petrae, c'est-à-dire sel de pierre) ou nitre se forme spontanément là où des matières organiques végétales ou animales subissent une décomposition en présence de calcaire humide contenant de la potasse, à une température supérieure à 15°. On trouvait d'importants gisements de salpêtre en Inde, en Espagne, en Hongrie ou en Egypte. Dans certaines contrées de l'Inde le salpêtre est si abondant dans le sol qu'il suffit, pour le recueillir, de balayer la terre avec de longs balais ou houssines : d'où le nom de salpêtre de houssage. En France, certains lieux étaient connus comme propices à la formation de salpêtre, par exemple les champs de batailles ou des centaines de cadavres se décomposaient en terre calcaire. Le salpêtre se forme aussi sur les murs humides, à la surface desquels il forme de petites aiguilles blanchâtres, à la saveur piquante.

On peut créer les nitrières artificielles en réalisant artificiellement des conditions favorables à la production du salpêtre. Ce sont des fosses remplies d'un mélange grossier de plâtres ou de terres calcaires, avec des débris de substances animales et végétales en putréfaction.
Le composé utile du salpêtre qui joue le rôle d'accélérateur de combustion dans la poudre est le nitrate de potassium. Le salpêtre naturel est en fait un mélange de nitrate de potassium et d'autres nitrates : de calcium, de magnésium, de sodium. Ce dernier, très hygroscopique altère rapidement les propriétés de la poudre. Pour produire une bonne poudre se conservant relativement bien, il faut donc épurer le salpêtre pour augmenter son taux en nitrate de potassium et éliminer autant que faire se peut les autres sels, et surtout le nitrate de sodium. Il faut aussi éliminer les corps gras qui nuisent très fortement à la qualité de la poudre.

Plusieurs méthodes peuvent être utilisées. La plus ancienne consiste à laver le salpêtre avec une lessive de cendres de bois riche en carbonate de potassium, pour transformer le nitrate de sodium en nitrate de potassium, puis à distiller la solution nitrée résultante avant de sécher soigneusement les cristaux récoltés. La production d'un salpêtre de qualité nécessite une distillation " à trois cuites " pour obtenir un salpêtre pur, débarassé des matières grasses. Le mode opératoire est décrit dans les textes des alchimistes arabes dès le 15eme siècle. Il sera progressivement perfectionné (notamment en fabriquant de grandes chaudières de raffinage) pour arriver à des volumes de production "industrielle" pour répondre aux besoins des armées.
La méthode classique de lavage - distillation - séchage ne sera abandonnée qu'à la fin du 18e siècle, lorsque Lavoisier aura élucidé la chimie du salpêtre (voir ci-dessous la section sur l'industrie de la poudre).
Les viscicitudes de la production de salpêtre

Le salpêtre peut venir de trois sources :

* Il peut être importé des Indes. Le salpêtre hindou est très réputé, très pur, au point que sa distillation ne nécessite qu'une seule " cuite " au lieu de trois pour les salpêtres domestiques. Malheureusement, il est cher, et les hollandais et les anglais tentent de s'en réserver le monopole. La France n'utilisera que marginalement le salpêtre hindou d'importation, qui a la réputation " d'enrichir la Ferme et d'appauvrir le Roi " (voir ci-dessous).
* Le salpêtre de houssage s'obtient en balayant le sol et les murs des locaux sombres et humides, caves, écuries,... ou en traitant par lessivage les gravats de démolition des vieilles batisses humides.
* Enfin le salpêtre de terre se trouve dans les terres calcaires où des matières organiques se sont décomposées (champs de bataille, anciennes forêts). Il peut également être produit en petites quantités dans des nitrières, fosses où l'on entasse des fumiers, litères d'animaux, feuilles, et des terres calcaires et marneuses.

Pendant toute l'époque de l'ancien régime et au delà (disons de Henri IV à Napoléon), la production de salpêtre va être conflictuelle et souvent insuffisante. Dès les origines, cette production est considérée comme un attribut régalien, au même titre que frapper monnaie et fondre des pièces d'artillerie. Et bien entendu, dès les origines, les productions plus ou moins clandestines et échappant au pouvoir royal vont exister, tant pour le salpêtre et la poudre que pour la monnaie et les pièces d'artillerie. Depuis l'édit d'Henri II de 1547, les villes doivent livrer aux magasins royaux 800.000 livres de salpêtre par an. Pourtant, il semble bien qu'elles préfèrent vendre à des particuliers ou à des fabricants de poudre " clandestins " travaillant pour le marché privé, illégal mais fort fructueux.

A partir de 1640, la production est confiée à un entrepreneur privé qui achète sa charge, et qui s'engage à produire une certaine quantité annuelle pour les besoins des armées royales, libre à lui de produire pour d'autres acheteurs s'il est capable de dépasser le quota imposé. C'est le système de la " Ferme des poudres et Salpêtres ", dont les règles de fonctionnement seront précisées par Colbert en 1665. Les villes, quand à elles échangent l'obligation de livrer du salpêtre contre le paiement d'une taxe. Dans le même temps, une charge de surintendant général des poudres et salpêtres de France est créée. Lui seul peut délivrer les commissions nécessaires pour rechercher le salpêtre et fabriquer la poudre. Il fixe également le prix de la poudre vendue au public. La Ferme fonctionnera jusqu'à 1775, date de sa réforme par Turgot qui créera alors la Régie des Poudres et Salpêtres et en confiera la direction à Lavoisier.

Note aux historiens qui me liraient : Ma présentation en une phrase du système du fermage est outrageusement simplifiée ! Si vous voulez améliorer mon texte, contactez moi. Merci.

Des ordonnances royales attribuent aux salpétriers qui fournissent la Ferme le pouvoir d'entrer chez les particuliers pour récolter le salpêtre, et font obligation aux maçons de donner les vieilles pierres et gravats au fin de récupération du précieux nitre. Des amendes sont prévues pour ceux qui s'opposent au travail des salpétriers ou qui les aggressent physiquement.
Pourtant, ces agressions sont nombreuses, et l'on voit même de véritable révoltes villageoises pour s'opposer à l'arrivée des salpétriers. Ceux-ci en effet ne s'encombrent pas de précautions pour bouleverser les maisons, démolir les planchers et parfois les murs. En principe, ils devaient remettre les sols en état, mais si un local s'était révélé riche en salpêtre, il devait être conservé en l'état. Pour cela, les terres prélevées devaient être remplacées par d'autres propices à la régénération du salpêtre. Bien entendu, les habitants faisaient tout ce qu'ils pouvaient pour rendre leurs maisons " stériles " : asséchement des sols, drainage des murs, aération, ouverture de fenêtres, etc. S'opposer à la visite des salpétriers pouvait couter 100 livres d'amendes, mais ceux-ci étaient souvent corrompus et acceptaient les " cadeaux " pour ne pas visiter ou revisiter une maison.
Fabrication de la poudre

La méthode classique consistait à verser dans un mortier de 16 livres les trois ingrédients à raison de six parts de salpêtre, une part de soufre et une part de charbon de bois, les parts étant mesurées en poids et non en volume. Au 15e et première moitié du 16e siècles les mortiers sont en hêtre, plus tard ils seront en bronze et passeront à 20 livres. On ajoute un peu d'eau pour éviter les risques d'explosion et faciliter la granulation. Le mélange est ensuite battu au pilon pendant 24 heures, avec ajout d'un peu d'eau à peu près toutes les quatre heures pour favoriser la granulation et éviter l'échauffement du mélange. Plusieurs mortiers sont ainsi montés " en série " chacun avec leur pilon, qui sont actionnés par un moulin à eau dont la roue actionne un arbre. Un grand vilbrequin en bois (en métal au 18e siècle) transmet le mouvement aux pilons.
Au 17e siècle, les moulins d'Essonne (au sud de Paris), de Toulouse, de Saint-Médard près de Bordeaux, de Pont-de-Buis à Brest, sont les plus connus. A titre d'exemple, le moulin d'Essonne met en jeu 24 mortiers de 20 livres.

Après pilonage, la poudre est tamisée, puis mise à sécher sur des claies au soleil, ou dans des fours à basse température l'hiver. Elle est ensuite conditionnée en barils de 100 ou 200 livres selon les régions, et entreposées dans des magasins à poudre.

Ce n'est qu'au 18e siècle que la méthode de fabrication " au pilon " sera progressivement abandonnée au profit de l'utilisation de meules en pierre bouchardée. La méthode de fabrication au 18e siècle est décrite en détail dans les articles consacrés à la poudre noire dans l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert dont vous trouverez la reproduction complète sur COOPERE.

Les difficultés de l'industrie de la poudre

Outre les difficultés d'approvisionnement en matières premières mentionnées plus haut, l'industrie de la poudre va connaître trois grandes difficultés :

* Une qualité souvent insuffisante, soit que les matières premières fussent elles-mêmes imparfaites, soit que la fabrication de la poudre fut en cause, par négligeance ou par tromperie délibérée. On livre du salpêtre gras distillé à deux cuites au lieu de trois, qui donnera une poudre de mauvaise qualité, provoquant des " longs feux ". On mélange de vieilles poudres périmées, mal conservées, avec de la poudre fraiche. On sèche mal la poudre avant de la mettre en tonneaux. On triche sur le poids, le baril de 200 livres n'en faisant que 180 ou 190. On utilise du charbon de bois de saule au lieu du charbon de bourdaine. On bat la poudre 12 ou 16 heures au lieu de 24 heures, etc.

En 1686, tirant les leçons des problèmes rencontrés par les artilleurs, le Roi ordonnera que la poudre soit éprouvée. Des officiers d'artillerie font la tournée des moulins à poudre et vérifient la qualité de celle-ci avant d'y apposer leur marque. Pour ces épreuves, ils sont équipés d'un petit mortier miniature tirant un boulet de fer. Pour un volume de poudre donnée, le boulet doit atteindre une distance minimale (une vingtaine de mètres). Si le boulet retombe avant la ligne, la poudre est refusée. Le musée des Invalides conserve quelques exemplaires de ces mortiers d'épreuve.

* De nombreux accidents et explosions. Le premier sinistre mémorable concerne la ville de Lubeck en 1360 et pulvérise tout un quartier. L'incendie du moulin de Verdun en 1727 détruit aussi une partie de la ville et fait de nombreuses victimes. Enfin, l'explosion de Grenelle en 1794 fera plus d'un millier de morts :

Le 26 février 1794, Lazare Carnot, en charge des questions militaires au Comité de Salut Public, et Pierre-Louis Prieur, membre de la Convention et du Comité de Salut Public, nomment à la Direction de la fabrication des poudres de Grenelle Jean-Antoine Chaptal qui cumule alors cette fonction avec celle de professeur de chimie à l'école de médecine. Les nouvelles méthodes de travail qu'il préconise font passer la production journalière de salpêtre de 8 à 35 000 livres (~3,7 à 16,3 t). Jean-Antoine Chaptal, ne cesse d'exposer au Comité de Salut Public que cette rapide progression ne peut se faire sans risque majeur. Les 2 000 ouvriers qui s'entassent dans l'atelier, fabriquent de la poudre noire dans une atmosphère surchauffée sans qu'aucune mesure de protection n'ait été jusqu'à alors prise.

Le 31 août 1794, à 7h15, 65 000 livres (soit 30 tonnes) de poudre explosent dans le magasin de poudre du Château de Grenelle situé près de l'Ecole militaire. Des arbres sont arrachés, des bâtiments soufflés. La veille, 50 000 livres (~ 23,3 t) de poudre sont envoyées sur les frontières. Deux jours plus tôt, 100 000 (~ 46,5 t) sont sorties du magasin de poudre. Depuis 3 mois, il n'y avait pas été stocké aussi peu de poudre dans la poudrerie qu'au moment de l'explosion Le bruit engendré par l'explosion est entendu jusqu'à Fontainebleau. Les sauveteurs portent secours aux blessés et retirent des centaines de victimes des décombres. Les hôpitaux de la Charité et du Gros-Caillou sont débordés par l'arrivée massive de blessés. L'administration de police est chargée de surveiller particulièrement les établissements publics. Le comité de salut public et de sûreté générale qui a en charge la surveillance de l'arsenal et des maisons de détention, met en sûreté à Meudon les stocks de poudre, salpêtre et soufre ayant échappé à l'explosion. L'explosion cause d'importants dommages matériels. Sa puissance est telle que les maisons du quartier sont ébranlées, les ponts lézardés et les scellés posés sur la porte des souterrains de l'Observatoire brisés. Cette catastrophe entraîne la mort de plus de 1 000 personnes.
Inventaire des Accidents Technologiques et Industriels, Ministère de l'Ecologie et du Développement Durable, 2006.


Si ces grandes catastrophes sont assez rares, les accidents et explosions détruisant tout ou partie d'un moulin ou d'un magasin à poudre sont malheureusement très fréquents.
Les archives nous ont légué les rapports de Pelletier (1), qui, jeune artilleur, est chargé d'une mission d'inspection. Pour la seule année 1705, il recense 11 accidents touchant 9 moulins différents, la plupart dus naturellement à des incendies. Le 24 avril 1705, 150 livres de poudre sont ainsi détruites au moulin de Maromme et, 15 jours plus tard, un second incendie en détruit encore 140 livres. Dans ce cas, les pertes avaient été mineures mais elles pouvaient être plus importantes, comme à Colmar le 24 janvier, lorsqu'un incendie ravagea le grenoir, détruisant 11.668 livres de poudre. Quatre mois après, une tempête endommagea le moulin entraînant de nouveau la perte de 1.050 livres. De par leur situation au bord d'un cours d'eau, l'autre menace pour les moulins était celle des inondations. Ce fut le cas à Fenestrelles en 1705 ou à Toulouse en 1712. [voir Naulet]

(1) Michel-Laurent, chevalier Pelletier, commissaire provincial en 1732, participa aux sièges de Kehl (1733) et de Philisbourg (1734). Lieutenant-général d'artillerie en 1741, il suivit l'armée française en Bohème où il fut blessé. Après avoir servi sur le Rhin et en Flandre, il termina la guerre avec le grade de maréchal de camp. En 1758, il reçut le commandement de l'artillerie de l'armée de Soubise. Présent à Sundershausen et à Minden, il fut nommé lieutenant-général des armées du roi en 1760.

* Une " logistique " inefficace (stockage et transport) provoquant la perte de grandes quantités de poudre. Là encore, les rapports d'inspection font état d'un nombre très élevé d'incidents conduisant à un gaspillage de la précieuse poudre. Les magasins à poudre sont insuffisants en nombre, trop petits, mal conçus : on empile les tonneaux sur cinq ou six hauteurs (voire plus) et ceux de la rangée inférieure éclatent sous la charge. La poudre est stockée trop longtemps, dans des magasins parfois humides, et se révèle "gatée" lorsque l'on en a l'usage. Les tonneaux sont de mauvaises quaité et perdent leur chargement sur la route, au grand émoi des populations des villes traversées.

Bien entendu, les inspecteurs ont pour rôle de pointer ce qui ne va pas, et la longue liste des incidents ne doit pas cacher l'essentiel : pendant les 4 à 5 siècles d'Ancien Régime évoqués ici (disons de 1350 à 1789), les armées du Roi et les particuliers fortunés disposeront d'une poudre noire de qualité croissante. Les articles de l'Encyclopédie que nous reproduisons dans une autre section le démontrent : à la veille de la Révolution, les méthodes de fabrication ont atteint un degré de sophistication et d'efficacité qui fait honneur aux charboniers, salpétriers et poudriers Européens.

Bibliographie

[AL] Vie et Oeuvres de Lavoisier (1743 -1795). Chapitre 6 : Lavoisier économiste. Comité Lavoisier, Académie des Sciences de Paris.

[Mangin] Mangin, Arthur (1824-1887). Délassements instructifs : les télégraphes, les feux de guerre. Publié à Tours par A. Mame, Ed. 1893

[Naulet] "La ferme des poudres et salpêtres création et approvisionnement en poudre en France (1664 - 1765)" par Frédéric Naulet , Institut de Stratégie Comparée / www.stratisc.org

[Saint-Rémy] Pierre Surirey de Saint-Rémy , Mémoires d'artillerie, Paris, 3ème édition, 1745

[Maine] S.H.A.T., fonds artillerie 4w579, Ordonnance du duc du Maine portant injonction à toutes personnes d'ouvrir ou faire ouvrir aux salpetriers les maisons, caves, selliers, bergeries, écuries, granges, colombiers, magasins et autres lieux, pour y prendre les terres qui s'y trouveront propres à faire salpestres, le 31 juillet 1701, à Versailles.

J. R. Partington, A History of Greek Fire and Gunpowder, Johns Hopkins Ed., 1999.


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Re: La poudre noire il y a seize années
Pour apprécier l’aspect tout à fait original de l’invention de la poudre à canon, il est nécessaire d’effectuer un petit détour du côté de la cinétique chimique. En effet, parmi l’ensemble des données qui caractérisent une réaction, l’une des plus évidentes concerne sa vitesse. Encore et toujours, pour être clair, prenons un exemple. Si l’on abandonne une plaque de beurre à l’air, elle rancit, ce qui correspond à une oxydation ; si l’on allume une flaque d’essence, elle brûle (encore une oxydation). Pas besoin d’un long discours pour souligner la différence entre les deux événements. Or cette différence est due pour l’essentiel à des aspects cinétiques alors que, fondamentalement, il s’agit pour les deux phénomènes de la réaction de l’oxygène de l’air avec une matière organique.

Dans le cas d’une combustion vive (un incendie de forêt par exemple) l’intensité du feu n’est pas limitée en général par les potentialités chimiques proprement dites, mais plutôt par des considérations physiques liées aux transferts de matière : départ des produits incombustibles (gaz carbonique, eau…) de la zone réactionnelle et arrivée de l’oxygène. Lorsque le vent exacerbe ces transferts, le feu peut devenir incontrôlable.

En revanche, et pour la même raison, un tout début d’incendie peut être étouffé sous une couverture et une combustion ne saurait durer longtemps dans un espace hermétiquement clos. Et pourtant… Les hommes ont eu une idée diabolique : s’affranchir de l’arrivée de l’air en apportant l’oxygène artificiellement au sein même de la substance combustible. La voie vers les explosifs était ouverte. Avant d’en venir au début de leur histoire, et pour mieux le comprendre, quelques rappels ne sont peut-être pas inutiles :

Selon une définition classique, on désigne sous le nom d’explosifs les composés définis ou les mélanges qui, en un temps extrêmement court, libèrent leur énergie chimique sous forme de chaleur, élevant ainsi à haute pression et à haute température les gaz produits dans la réaction. Pour les applications pratiques, la vitesse à laquelle se déplace le front de flamme revêt un caractère essentiel. D’une façon très générale on distingue :

? la déflagration, qui se déplace à une vitesse s’exprimant en mètres par seconde ; c’est le domaine des explosifs balistiques, par exemple des poudres à canon (poudres vives). C’est aussi le régime de combustion de nos gazinières, dont le débit est pour cela strictement déterminé (pas de bricolages SVP), mais également celui des moteurs à allumage commandé.

? la détonation, qui se propage à plusieurs kilomètres par seconde et concerne les explosifs brisants, lesquels ne commenceront à apparaître, et à se manifester par de terribles accidents, qu’à la fin du 18ième siècle. Pour donner une idée de la violence du phénomène, disons qu’un incendie qui se déplacerait à la vitesse d’une réaction de détonation traverserait la France, de Biarritz à Strasbourg, en moins de cinq minutes.

Un mot encore. Beaucoup de personnes sont persuadées que l’effet d’un explosif est dû uniquement aux gaz libérés lors de sa mise en œuvre ; en fait la chaleur dégagée joue un rôle plus important. Par exemple, l’explosion du mélange tonnant (2 volumes d’hydrogène pour 1 volume d’oxygène) conduit à un souffle violent en dépit de la diminution du nombre des espèces gazeuses :

2H2 + O2 à 2H2O

1 – SALPÊTRE, FUSÉES, PÉTARDS ET FEU GRÉGEOIS

Il n’est point de secrets que le temps ne révèle.

Jean Racine – Britannicus

De l’Antiquité jusqu’au delà du Moyen-Age le bois représentait le matériau principal des constructions, des ouvrages défensifs et des navires. Ce choix économiquement et techniquement justifié pour l’époque comportait une redoutable contrepartie : les incendies étaient fréquents et dévastateurs. Aussi, depuis toujours, les militaires, sans pour autant faire preuve d’une imagination débordante, ont cherché à accroître leur pouvoir de nuisance (ce qu’ils nomment aujourd’hui pudiquement leur capacité vulnérante) par ce moyen élémentaire mais ô combien efficace : foutre le feu chez l’ennemi. A cet effet on peut dire que tous les combustibles ont été employés, les plus recherchés étant les liquides gras qui s’accrochent aux structures et sont impossibles à ramasser : huile, poix, résines, naphte (pétrole s’écoulant naturellement du sol).

Au tout début de notre ère, les Chinois font une découverte capitale. Un produit naturel, le salpêtre (sel de pierre) possède la propriété remarquable d’entretenir et d’activer les combustions. Ce dit salpêtre, en fait un mélange de nitrates contenant principalement du nitrate de potassium (KNO3) abonde en Chine ; certains sols s’y recouvrent régulièrement d’efflorescences blanches qu’il suffit de balayer pour en assurer la récolte. Dans la foulée, les Chinois préparèrent un produit vivement combustible par mélange intime de charbon, de soufre et de salpêtre. L’ancêtre de la poudre à canon venait de voir le jour ; le premier texte à en faire mention est un traité d’alchimie chinois du 10ième siècle.

Cependant il faut souligner que cette poudre donnait lieu à une combustion relativement lente, un peu comme une poudre à canon humide qui fait ‘‘long feu’’. Avec elle les Chinois confectionnaient des fusées (ou feux volants) en la bourrant dans des tiges de bambou, mais également des pétards en l’entourant de couches de papier bien serrées et ligaturées à chaque extrémité, le bruit caractéristique provenant de l’explosion de l’enveloppe. Dans l’un et l’autre cas l’allumage se faisait à l’aide d’une mèche imprégnée de salpêtre.

Les fusées furent utilisées par les Chinois non seulement pacifiquement au cours des fêtes, mais aussi militairement, comme engins incendiaires, à partir du 11ième siècle semble-t-il.

A noter que l’Inde, presqu’en même temps que la Chine, connut les mêmes développements, ses habitants attribuant l’invention de la poudre à un Dieu, Visvocarma.

Dès l’Antiquité, les contacts commerciaux s’établirent entre la Chine et l’Empire Romain par les routes de la soie. Toutefois, ce n’est qu’à la fin du 7ième siècle que le secret de la poudre, ou du moins du salpêtre, passe en Occident.

En 674 le calife Mouraïra met le siège devant Constantinople. C’est alors qu’un Syrien, Callinicus, profite de l’occasion pour offrir ses services à l’empereur byzantin en lui proposant un ‘‘feu’’ miraculeux dont il a le toupet de se prétendre l’inventeur (plus vraisemblablement, il connaissait les vertus du salpêtre à la suite de contacts commerciaux avec les Chinois). Quoi qu’il en soit le secret de Callinicus va devenir entre les mains des Byzantins une arme formidable : le feu grégeois. Il s’agissait d’un mélange de naphte, de goudron, de soufre, de résine et de salpêtre. Ce n’est encore qu’un mélange incendiaire mais grâce au salpêtre il acquiert une vigueur et une résistance à l’extinction encore jamais vues. Constantinople va garder jalousement le secret de ce feu. Un très petit nombre d’ouvriers et de maîtres, étroitement surveillés, est affecté à sa fabrication. Ainsi, l’empereur Constantin Porphyrogénète ordonne à son fils : « Tu dois par-dessus toute chose porter tes soins et ton attention sur le feu liquide qui se lance au moyen des tubes ; et si l’on ose te le demander comme on l’a fait souvent à nous-mêmes, tu dois repousser et rejeter cette prière en répondant que ce feu a été montré et révélé par un Ange au saint et grand premier empereur Constantin. »

Durant près de six siècles, l’empire byzantin va utiliser avec succès son feu grégeois au cours des affrontements maritimes : défense de ses ports, confection de brûlots dirigés vers la flotte ennemie, jets de pots et tubes en verre contenant le mélange incendiaire (à cette époque les rencontres navales avaient lieu pratiquement bord à bord). On peut imaginer dans le dernier emploi les ancêtres, peut-être plus efficaces, de nos cocktails Molotov.

En 1204 l’armée des Croisés met le siège devant Constantinople et enlève la ville, ruinant du même coup le monopole grec relatif à l’utilisation du salpêtre.

Or à cette époque, au début du 13ième siècle et indépendamment de ces événements, les Arabes à leur tour voient arriver chez eux la révélation des propriétés du salpêtre et de la poudre noire, toujours en provenance de Chine avec laquelle ils entretiennent des relations depuis le 8ième siècle1. Immédiatement ils s’empressent de les mettre en œuvre pour soutenir leurs conflits. Mais alors que les Byzantins réservaient le feu grégeois presque exclusivement aux affrontements navals, les Arabes sauront l’utiliser dans les batailles terrestres, notamment lors des Croisades, sous toutes ses formes possibles et imaginables, souvent de façon plus spectaculaire que franchement ‘‘vulnérante’’. Joinville rapporte ainsi le bombardement de l’armée de Saint-Louis : « Un soir advint que les Turcs amenèrent un engin qu’ils appelaient la pierrière, un terrible engin à malfaire, et par lequel ils nous jetaient le feu grégeois. Cette première fois, ils atteignirent nos tours en bois ; mais incontinent le feu fut éteint par un homme qui avait cette mission. La manière du feu grégeois était telle qu’il venait devant nous aussi gros qu’un tonneau, avec une queue d’une grande longueur. Il faisait tel bruit qu’il semblait que ce fut foudre qui tombait du ciel et comme un grand dragon volant dans l’air avec une traînée lumineuse. »

Deux événements d’une importance décisive marquent, vers le milieu du 13ième siècle, l'aventure de la poudre noire :

A - Un certain Marcus Graecus (on ne sait à peu près rien de lui) fait paraître vers 1230 un livre en latin : Liber ignium ad comburendos hostes (Livre des feux pour brûler les ennemis) dans lequel il publie pour la première fois en occident la composition pondérale de la poudre noire, soit 1 partie de soufre, 2 parties de carbone et 6 parties de salpêtre ; à noter que celle-ci est assez voisine de celle qui sera en définitive retenue (1 – 1 – 6). Il indique également un procédé rudimentaire pour purifier le salpêtre naturel par lessivage, filtration puis cristallisation et préconise de préparer le charbon de bois à partir de tilleul ou de saule. Pour finir – détail important pour la sécurité des opérateurs – il recommande de n’effectuer toutes ces manipulations qu’à l’extérieur des locaux d’habitation.

A partir de cette date clé, on peut dire que les informations essentielles concernant la poudre noire sont dans le domaine public. A cet égard Roger Bacon et Albert le Grand apparaissent davantage comme les continuateurs de Marcus Greacus que comme de véritables précurseurs.

B - Les Arabes, certainement les meilleurs alchimistes de l’époque, s’intéressent de très près à une fabrication soignée et l’on pourrait dire scientifique de la poudre noire. Ils vont ainsi la porter à un degré de perfection qu’elle conservera sensiblement inchangé pendant plus de 500 ans. Leur démarche, pragmatique mais très habile, inspirée par les préceptes de l’alchimie d’Alexandrie, consiste à n’employer que des composés rigoureusement purifiés sinon purs :

? le salpêtre ; c’est un produit naturel renfermant du nitrate de potassium mais également d’autres nitrates : de calcium, de magnésium, de sodium. Ce dernier, très hygroscopique conduit à altérer rapidement les propriétés de la poudre. Les Arabes vont non seulement purifier physiquement ce mélange mais aussi chimiquement en le traitant avec une lessive de cendres de bois, riche en carbonate de potassium, pour transformer le nitrate de sodium en nitrate de potassium (2NaNO3 + K2CO3 à 2KNO3 + Na2CO3) en jouant sur les solubilités respectives des deux composés. Au bout du compte ils obtenaient du KNO3 à peu près pur.

? le soufre ; comme de nos jours il se rencontrait facilement à l’état natif dans les régions volcaniques. Sa purification nécessitait une distillation soignée.

? le charbon ; on l’obtenait par combustion ménagée du bois puis broyage. Toutefois la reproductibilité du processus de carbonisation laissera toujours à désirer2.

C’est principalement la préparation et la purification du nitrate de potassium à partir du salpêtre brut qui représente l’avancée la plus spectaculaire. Il s’agit d’un travail admirable pour l’époque qui prouve, s’il en était encore besoin, la précellence des Arabes du 13ième siècle en matière de chimie. Grâce à lui la voie est désormais ouverte à la réalisation de poudres non plus lentes mais vives, c’est-à-dire de véritables explosifs déflagrants pouvant propulser des projectiles à grande vitesse dans un tube3, ce que l’on appelle pour cette raison des explosifs balistiques.

2 - LES PREMIERS COUPS DE CANON

Tous les grands seigneurs, tous les chefs de bannières, s’étaient réunis pour voir fonctionner les bombardes. Le connétable Gaucher haussait les épaules et déclarait, l’air bougon, qu’il ne croyait pas aux vertus destructrices de ces machines. Pourquoi toujours faire confiance à des « novelletés », alors qu’on pouvait se servir de bons mangonneaux, trébuchets et perrières qui, depuis des siècles, avaient produit leurs preuves ?… Les guerres se gagnaient par la vaillance des âmes et la force des bras, et non point par recours à des poudres d’alchimistes qui sentaient un peu trop le soufre de Satan !

Maurice Druon – Les Rois Maudits

Dès l’antiquité, l’artillerie4 mécanique de siège avait atteint un niveau d’efficacité tout à fait acceptable. Une machine de jet, bien que lourde, compliquée et difficilement manœuvrable, ‘‘balançait’’ une charge de près de 100 Kg à plus de 200 mètres. Les progrès furent constants. Au Moyen-Age, au début du 13ième siècle, ce sont 300 Kg qui voyageaient à la même distance. Lorsque le projectile s’abattait, en tir plongeant, mieux valait ne pas se trouver trop près de l’impact : une maison était aplatie comme une crêpe. Dès cette époque, aucune forteresse ne pouvait plus résister aux machines de jet pourvu qu’elles soient servies par un bon ingénieur. Chacun en prit conscience lorsqu’en mars 1244 Montségur, citadelle réputée inexpugnable tomba, écrasée par une pierrière construite et mise en œuvre de main de maître par l’évêque d’Albi, chrétien discutable mais ingénieur hors pair.

L’artillerie de campagne posait un tout autre défi. Impossible d’y faire figurer les monstrueuses machines de siège. Les Romains avaient bien recherché une solution en mettant au point leur scorpion mais ce dernier, de côte mal taillée en compromis, n’était en définitive ni assez puissant ni suffisamment manœuvrable. Tout ou presque restait à faire. Lorsque les Arabes purent réaliser une poudre vive, ils tinrent en fait la clé du problème. Toutefois la pesanteur des habitudes fit que les armes à feu, considérées comme des machines de siège, ignorèrent au début le champ de bataille.

Quand et par qui fut tiré le premier coup de canon ? Sûrement par un Arabe à la fin du 13ième siècle. Vraisemblablement par Abou-Yousouf, sultan du Maroc, en 1275. L’arme, simple tube en bois (madfoa) lançait une grosse flèche.

Dans l’occident chrétien, le canon commence à se faire entendre en 1324 lors des sièges de Metz et de La Réole5. Il est utilisé par les assiégés dans le premier cas et les assiégeants dans le second, chaque fois avec succès. A partir de cette date il s’associe progressivement et étroitement à l’histoire des conflits armés au point d’en devenir le symbole.

En 1342 les Arabes l’utilisent pour défendre leur position d’Algésiras assiégée par les troupes d’Alphonse XI lors de la Reconquista, en tirant des boulets de fer gros environ comme des pommes. Heureusement pour les Castillans, la plupart des projectiles passent par-dessus leurs têtes sans les frapper. On commence à découvrir que le canon n’est pas fait pour tirer loin mais pour tirer de loin.

L’année 1346 (soit 22 ans après La Réole) constitue une date emblématique qui préfigure l’évolution des futurs conflits terrestres : à Crécy, les Anglais expérimentent la première intervention de l’artillerie à poudre sur le champ de bataille, en rase campagne. Les Français trouveront là une excuse facile pour tenter de justifier l’une des plus incroyables torchées de leur Histoire. Pourtant, si les Anglais s’imposèrent à Crécy ce n’est pas à la faveur de leurs trois ou quatre couleuvrines d’une inefficacité irréprochable, ni même peut-être de leur archerie équipée du remarquable long bow, mais plutôt grâce à leur incomparable capacité à bien se battre6.

La poudre noire déflagrante commence également à s’illustrer par une série d’explosions accidentelles qui reviendront avec une triste régularité, et jusqu’à nos jours avec les dépôts pour feux d’artifice en particulier. Le premier sinistre mémorable concerne la ville de Lubeck en 1360 et pulvérise tout un quartier. Grenelle en 1794 fera plus d’un millier de morts. Dès le 14ième siècle, tout convoi de poudre doit être précédé d’un drapeau noir afin d’inviter les populations à s’éloigner.

3 – DE LA POUDRE NOIRE AUX EXPLOSIFS NITRÉS

Nous guidons les affaires en leur commencement et les tenons en notre merci ; mais par après quand elles sont ébranlées, ce sont elles qui nous guident et emportent, et avons à les suivre.

Michel de Montaigne

Si la composition globale de la poudre noire va peu évoluer au cours des siècles, en revanche les techniques de sa préparation marquent une évolution constante.

Par mesure de précaution on broyait séparément le mélange de soufre et de charbon, jusqu’à obtention d’une poudre homogène. Le salpêtre n’apparaissait qu’en fin d’opération, son mixage s’effectuant en présence d’eau pour des raisons évidentes de sécurité (1,5 litres d’eau pour 10 Kg de poudre) et encore fallait-il veiller à compenser régulièrement les pertes par évaporation. Ces opérations de broyage et de mélange étaient réalisées à l’aide de pilons, très proches des bocards utilisés par les métallurgistes, et comme eux mis en mouvement par des roues hydrauliques équipées de cames. De là le terme de ‘‘moulins à poudre’’ employé pour désigner ces fabriques.

En France, durant la période révolutionnaire et le Premier Empire, les besoins en poudre furent tels que l’on dut recourir à des moyens plus expéditifs mais aussi plus dangereux. En particulier on broyait les ingrédients à la force des bras, dans des tonneaux tournants remplis en partie de billes de bronze appelées gobilles.

Jusqu’au 17ième siècle, en dépit de tous les soins apportés à sa fabrication, la poudre n’était jamais totalement homogène, ce qui nuisait beaucoup à la reproductibilité de sa vitesse de combustion et donc à celle de ses effets balistiques. Pour remédier à cet inconvénient on commença, à partir de 1700 environ, à utiliser la poudre sous forme de grains. Sous cette forme le front de flamme se propage non plus dans la masse de l’explosif lui-même mais dans ses interstices, ce qui permet d’obtenir en définitive un résultat pratiquement constant d’un tir à l’autre, pour une même masse de poudre.

La qualité du produit obtenu justifiait pleinement la complication et les risques ajoutés au procédé de fabrication. Il fallait en effet partir d’une galette de poudre, la briser dans un tamis spécial appelé le guillaume, puis sélectionner au crible les grains en fonction de leurs diamètres et enfin les polir. Pour une poudre à canon il convenait de réaliser des grains polis d’environ deux millimètres de diamètre.

Au début du 19ième siècle, le chimiste Joseph Proust, sans doute pour cultiver l’art du paradoxe mais aussi pour inciter à la recherche, faisait observer que l’on n’avait pas encore inventé la poudre, l’idéale, la vraie. En effet la poudre noire, alors demi-millénaire, présente des inconvénients majeurs :

Ø Elle est sujette à des inflammations intempestives, sources d’accidents.

Ø Elle absorbe progressivement l’humidité de l’air, ce qui diminue, et à la limite détruit, ses propriétés balistiques.

Ø Sa combustion produit des composés solides qui encrassent les tubes7.

Ø Elle dégage une fumée épaisse qui facilite le repérage des positions par l’ennemi.

Ø Ses grains se réduisent petit à petit en poussier, notamment lors des transports, ce qui diminue sa valeur balistique et augmente le risque d’explosion accidentelle.

Or, détail curieux, au moment ou Joseph Proust formulait ses critiques, la chimie avait commencé à accéder à ses vœux plus de dix ans auparavant, en 1788 exactement, avec la synthèse de l’acide picrique8, en fait le trinitrophénol, HO-C6H2(NO2)3 sur lequel nous reviendrons.

La même année (1788) Berthollet découvre le chlorate de potassium en faisant lentement barboter du chlore gazeux dans une solution concentrée et chaude de potasse : 3Cl2 + 6KOH à ClO3K + 5KCl + 3H2O . Ebloui par les propriétés comburantes exceptionnelles de son chlorate, il a l’idée de le substituer au salpêtre dans la fabrication de la poudre noire. Malheureusement, il obtient alors une poudre non plus déflagrante mais brisante (pour la première fois dans l’histoire de la chimie). Un premier essai de fabrication en vraie grandeur à la poudrerie d’Essonne rase l’atelier, tuant le directeur et sa fille ainsi que quatre ouvriers. Berthollet sauve sa peau par miracle. Quatre ans plus tard, nouvel essai : trois morts. Pour le coup, on s’en tient là.

En fait, l’invention de Berthollet trouvera une application plus pacifique, pour les foyers domestiques, avec l’arrivée des premières allumettes chimiques, dites Lafumade, du nom de leur fabricant. Il ‘‘suffisait’’ pour obtenir du feu, de tremper une bûchette enduite à l’une de ses extrémités d’un mélange de chlorate de potassium et de soufre, dans une fiole contenant de l’acide sulfurique concentré. Elles ne seront détrônées qu’en 1830 par les premières allumettes allemandes au phosphore, prenant feu par simple frottement (même contre une semelle) et que l’on peut encore admirer dans tous les bons westerns.

Le trinitrophénol, comme on l’a vu, est obtenu lui aussi en 1788 par réaction de l’acide nitrique avec le phénol, aboutissant au remplacement, dans la molécule de phénol, de trois hydrogènes (1,4,6) par trois radicaux NO2- . Au début personne ne se doute des potentialités explosives de l’acide picrique9. Si son goût amer apparaît sans intérêt industriel, en revanche sa belle couleur jaune le désigne pendant plusieurs décennies comme substance tinctoriale de choix.

Ce n’est qu’au début du 19ième siècle que l’on s’aperçut que l’on pouvait faire ‘‘péter’’ l’acide picrique en le chauffant, surtout en présence de chlorate de potassium. Cette observation donna lieu à une kyrielle de poudres expérimentales (Fontaine, Abel, Dessignole, Brugère…) toutes plus détonantes les unes que les autres. Un terrible accident, place de la Sorbonne en 1809, stoppa net les recherches sur ce mélange très particulier.

En 1800, nouvelle découverte : Howard, en faisant réagir le nitrate de mercure sur l’alcool éthylique, obtient le fulminate de mercure ; d’une manière similaire il préparera le fulminate d’argent. Le composé ainsi obtenu possède la propriété remarquable de détoner sous l’effet d’un choc. Il sera pour cette raison très utilisé par la suite pour amorcer le départ d’autres explosifs (réalisation d’amorces).

Le fulminate d’argent eut aussi dans le domaine public, et plus particulièrement dans celui des farces et attrapes, un emploi dont certains se seraient bien passés : la réalisation des bonbons chinois ou bonbons à la cosaque. Il s’agissait de faux bonbons, enrobés dans un papier imprégné de fulminate d’argent. Lorsque la victime voulait les déplier en tirant brusquement sur les deux bouts, l’explosion était certaine. Pendant plusieurs années ils mirent à vif les nerfs des directeurs de salles de spectacle et même de concert.

Finalement en 1846 entre en scène le candidat le plus sérieux à la succession de la poudre noire, le fulmicoton, obtenu par un chimiste de Bâle, Friedrich Shönbein, qui fait grand mystère de son mode de préparation. Jamais semble-t-il secret n’aura été aussi vite éventé : huit jours. En effet, dix ans auparavant, le chimiste français Jules Pelouze avait obtenu du fulmicoton, qu’il appelait xyloïdine, sans se douter un seul instant de ses propriétés explosives. Comme dans le cas de l’acide picrique, il suffisait de faire réagir l’acide nitrique avec du coton, en présence d’un peu d’acide sulfurique pour faciliter la réaction, le produit obtenu étant en toute rigueur de la nitrocellulose.

Dans la poudre noire les combustibles d’une part (carbone, soufre), l’oxydant d’autre part (nitrate de potassium) sont chimiquement séparés, ce qui nuit à l’homogénéité du système réactionnel et à sa durée de conservation. Par ailleurs le potassium, dont la seule utilité est de ‘‘porter’’ les groupes NO3 , génère fatalement, lors de la combustion, des produits solides désastreux pour la propreté de l’arme. A cet égard la réalisation de composés nitrés (acide picrique, fulmicoton) représente un progrès décisif : les groupes NO2 (oxydants) ne sont pas apportés de l’extérieur, mais incorporés au sein même de la molécule. Les avantages apparaissent vite déterminants :

Ø Parfaite homogénéité de la poudre, par nature.

Ø Très faible sensibilité à l’humidité (pas de sel hygroscopique).

Ø Stabilité au cours du temps.

Ø Pas de cendre, pas de crasse, peu de fumée.

Ces belles promesses doivent néanmoins être tempérées. En matière d’explosifs nitrés il convient de considérer deux aspects :

Ø La synthèse de la molécule nitrée de base.

Ø La mise au point d’un explosif utilisable à partir de cette molécule.

On peut presque affirmer que le second travail prime sur le premier. Ainsi, la célébrité et la fortune d’Alfred Nobel se fondèrent non sur la découverte de la nitroglycérine, déjà réalisée avant lui (Ascanio Sobrero en 1846) mais sur la préparation, à partir de cette molécule nitrée, d’un explosif utilisable : la dynamite. Pour ces raisons de mise en œuvre délicate, les premiers essais balistiques réalisés avec le fulmicoton furent à la fois encourageants et décevants. Les déceptions provenaient du caractère brisant de cet explosif qui provoquait souvent l’éclatement de l’âme de la pièce. A la suite d’une explosion dramatique à l’usine du Bouchet, le 17 juillet 1848, la France préfèra renoncer à la fabrication industrielle de cette poudre (appelée alors pyroxyle). D’autres pays se montrèrent plus persévérants.

Finalement ce n’est qu’en 1884 que l’on réussit (notamment Paul Vieille, auteur de la célèbre poudre cool smiley à gélatiniser la nitrocellulose à l’aide d’un mélange d’éther et d’alcool et à lui conférer ainsi un régime de déflagration déterminé et parfaitement compatible avec son usage dans les armes à feu.

Si Joseph Proust avait vécu il aurait dit : Ils ont inventé la poudre.


C'est l'esprit qui mène le monde et non l'intelligence
Antoine de Saint Exupéry
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Re: La poudre noire il y a quinze années
"HISTOIRE DE LA POUDRE NOIRE"

Pendant longtemps, la poudre ne fut connue que sous la forme d'un poussier amorphe, brûlant mal et
incomplètement, de façon irrégulière, et fusant plutôt que détonant. Sous cet état de pulvérin, il fallait
une grande quantité d'explosif pour propulser le projectile avec des pressions irrégulières, faisant tantôt
rouler le boulet sur le sol à quelques dizaines de toises de la pièce, tantôt éclater bombarde ou veuglaire.
Pour un même calibre et un même poids de projectile, on peut évaluer la charge de poudre noire du XIX
ième siècle au 20 ième de celle du XIV e siècle, et ce avec résultats balistiques incomparablement meilleurs.

De siècle en siècle, la fabrication, et partant la qualité de la poudre noire est toujours allée en s'améliorant,
tant par le choix et par le degré de purification des constituants que par l'homogénéité toujours croissante
du mélange. Mais le principal progrès fut la granulation de la poudre, qui, laissant des interstices entre
chaque grain fit que l'inflammation se propagea avec plus de rapidité et de régularité.

La granulation de la poudre fut probablement découverte au XV e siècle (Conrad Rander, de Schvengau parle
de poudre en grains dès 1429). A l'origine, il ne s'agissait que de pulvérin aggloméré en grumeaux ou en
boulettes, après avoir été humecté d'eau, vin, vinaigre ou eau-de-vie, au moyen d'une technique manuelle
s'apparentant à celle de la fabrication du couscous par les indigènes d'Afrique du Nord. La poudre ainsi
agglomérée donnait une plus grande régularité de tir et permettait l'emploi de pièces d'artillerie de très fort
calibre connue beaucoup de bombardes en usage, dont le boulet de pierre énorme (on utilisa à cette époque
des pièces de plus de cinquante centimètres de calibre), agissait plus par son poids que par la force de
percussion imprimée par la poudre.

L'idée de proportionner la grosseur du grain au calibre et à la longueur de canon de l'arme vint très vite. L'idéal
étant d'avoir une charge de poudre dont la combustion ait sensiblement la même durée que le trajet du projectile
dans le canon. La vitesse de combustion étant inverse de la grosseur des grains, celle-ci devait diminuer avec le
calibre et la longueur du tube. Ainsi à notre époque, on voit la poudre noire à gros grains (n° 0) employée dans
les canardières de gros calibre à canons longs et pour le tir de certaines armes rayées de gros calibre à balles
lourdes, tandis que la poudre extra-fine est réservée pour les revolvers et pistolets dont le canon est court

et le calibre faible. Les dernières pièces d'artillerie de gros calibre employant la poudre noire à la tin du XIX ième
siècle, l'utilisaient comprimée en blocs cubiques ou prismatiques de deux ou trois centimètres de côté, parfois
percés de trous pour faciliter l'inflammation.

Au début cependant, le principe de proportionner la grosseur du grain, et partant la vitesse d'inflammation au calibre
de l'arme, ne fut pas admis par tous comme une évidence. Au début du xviv siècle, SULLY, Grand Maître de l'Artillerie
ne voulut employer qu'une seule grosseur de grain, tant pour les canons que pour les mousquets.

Cette mesure rétrograde, prise seulement pour faciliter les approvisionnements, ne semble avoir été qu'une intrusion
du " garde mites " dans le domaine du balisticien.

De toute façon, au début du XVI e siècle, le principe de la granulation de la poudre, et de la taille des grains proportionnée
au calibre de farine destiné à l'emploi était définitivement établi depuis longtemps, et les méthodes de granulation mises
au point, tout nu moins dans leurs principes pour les siècles à venir.

Le gâteau de poudre formé de pulvérin aggloméré sortant des pilons était concassé, mis en grains et ensuite pressé par
un plateau de bois dur animé d'un mouvement circulaire. Le grain obtenu fut plus tard lissé et comprimé par un passage
dans un baril tournant.

Cette méthode, avec quelques modifications de forme des guillaumes fut conservée sans grands changements jusqu'à
nos jours. Cependant, à la fui du XVII e siècle, en Angleterre, un autre système, permettant une plus grosse production
sur le plan industriel fut mis au point par CONGREVE, ingénieur et officier de la Compagnie des Indes, plus tard Directeur
de l'Arsenal de Woolwich, et à qui on doit de nombreuses inventions, dont en particulier la fusée de guerre qui porte son nom.
La machine de Congrève, était une sorte de laminoir dont les roues de bronze portaient des dents qui déchiquetaient et
réduisaient en grains le gâteau de poudre. Elle resta employée, concurremment avec des guillaumes et leurs modifications
directes jusqu'à notre époque,

Les grains ainsi obtenus, étaient anguleux et de formes irrégulières. Après lissage au baril tournant, on les triait au tamis de
crin pour les classer en diverses grosseurs.

Parallèlement à cette poudre classique aux grains irréguliers, et qui est la forme la plus courante, universellement connue de
la poudre noire, se trouve la poudre à grains ronds, dérivée directe de la poudre roulée à la main du XV siècle.

La poudre à grains ronds, surtout à l'origine, alors que l'on se contentait d'effriter la tuasse de pulvérin aggloméré pour obtenir
les grains, avait l'avantage, du fait de son roulage qui se faisait sous une certaine pression, d'avoir chaque grain comprimé et
plus homogène, ce qui donnait plus de régularité dans les charges mesurées volumétriquement dans la plupart des cas.
De plus, les grains ayant une certaine dureté risquaient moins de s'effriter et de se transformer en poussier.
Ce dernier avantage était très important, surtout avec les premières poudres en grains, dont le grain était très friable.
Au début du XVIIe siècle, alors que chaque soldat achetait sa poudre individuellement chez le boutiquier du coin, le règlement
lui prescrivait de se munir d'un tairais pour tamiser de temps en temps sa poudre et éliminer le poussier, ou pulvérin qui était
recueilli et conservé à part pour l'amorçage du bassinet.

De plus, le fait d'être en grains ronds et réguliers faisait nue les interstices entre les grains de la charge étaient sensiblement
égaux, et partant l'inflammation meilleure et plus constante.

La poudre en grains ronds la plus connue est la célèbre poudre suisse, dite "poudre de BERNE ", qui fut considérée longtemps
comme la meilleure dit monde, surtout pour le tir à balle. Cette poudre, doit se fabrique encore, ou du moins se fabriquait encore
très récemment jouit d'une grande réputation parmi les utilisateurs des lourdes carabines suisses se chargeant par la bouche,
utilisées comme armes de stand et par certains chasseurs de montagne. Ces armes d'une précision parfaite ne donnaient
paraît-il vraiment leur plein rendement qu'avec cette poudre, affirmation qui semble plausible, la régularité de l'inflammation et
de la charge étant des facteurs importants dans le tir de précision à Farine rayée.

Cette poudre de Berne, qui offre l'aspect de grains de caviar ou de petit plomb de chasse, ne semble devoir ses qualités qu'à sa
granulation. quoique l'on ait attribué naguère ses vertus à la qualité du salpêtre natif des montagnes de la Suisse. De toute façon,
sa formule (salpêtre 76, soufre 10, charbon 14) n'offre rien de bien spécial et est très classique, sensiblement la même que celle
de nombreuses poudres noires à grains ordinaires.

Rançon de sa qualité, on reprochait autrefois à la poudre de Berne d'être trop brisante et de détériorer les armes, en particulier
les pièces d'artillerie. Ce défaut ne s'explique pas très bien, et est peut être illusoire, les essais faits naguère n'étant pas très
scientifiques, et les charges calculées très empiriquement, malgré l'emploi d'appareils de mesure assez astucieux comme le
mortier éprouvette.

C'est sans doute pour cette raison, que, hors de Suisse, la poudre en grains ronds, malgré ses qualités, ne supplanta pas les
poudres à grains anguleux et irréguliers.

Pourtant, en plus de ses qualités intrinsèques, la poudre en grains ronds avait celle d'une facilité et d'une rapidité surprenante
de fabrication, s'accommodant très bien de l'outillage et des méthodes artisanales des XVII e et XVIII e siècles.

Les premières poudres à grains ronds étaient faites en roulant le grain à la main sur un plateau de bois, méthode admissible
au XV e siècle pour les gros grains de la poudre à bombardes, dont la fabrication, malgré l'énormité du calibre et des charges
employées ne représentait guère que des quantités limitées. Devant la multiplication des armes à feu et l'accroissement
nécessaire de la production, les Suisses améliorèrent vite la technique primitive du roulage à la main, en plaçant la poudre
dans un sac de tissu, ce qui leur permettait en plus d'une production plus rapide d'obtenir des grains plus fins pour l'usage
des armes portatives et en même temps de durcir ceux-ci par la pression.

Le sac utilisé était un sac de toile à fond rond, un peu comme un sac de marin, et assez long. Ce sac était, rempli de poudre
à l'état de pulvérin légèrement humide. Suivant la dimension du sac, on travaillait sur une masse de trois à quinze livres de poudre.
L'ouvrier roulait le sac sur une table avec la main, en le poussant devant lui, toujours dans le même sens.
Au fur et à mesure que les grains se formaient, le volume du sac diminuait, il fallait resserrer le lien de fermeture pour que l'ensemble
soit toujours soumis à une pression sensiblement égale. L'opération était assez rapide, et au bout d'une heure environ, la poudre était granulée.

Le roulage de la poudre à la main était le mode de fabrication artisanale, les quantités ainsi fabriquées étant forcément limitées.
La consommation de la poudre augmentant, la demande étant toujours croissante, la méthode de fabrication se perfectionna et fit
appel aux moyens mécaniques.

Vers le milieu du XVIII e siècle, une machine à rouler la poudre en grains ronds était d'usage courant chez les poudriers suisses.
Elle était construite presque entièrement en bois, non seulement pour des raisons de sécurité, mais aussi parce que le bois était
le matériau de construction usuel de la plupart des engins mécaniques de cette époque. Naturellement la force motrice provenait
de l'eau ou d'un manège de chevaux, les deux principaux moteurs employés alors dans l'industrie.

Cette machine se composait d'un plateau de bois de forme circulaire et de grand diamètre, garni de tasseaux de bois de section
demi-circulaire, cloués en étoile suivant les rayons. Au centre de ce plateau, et le traversant se trouvait un arbre vertical en bois,
mobile, portant trois ou quatre bras cylindriques perpendiculaires à son axe comme les raies d'une roue. Sur ces bras tournaient
librement des bobines de bois de forme allongée, recouvertes d'un sac de futaine (drap mince) aux extrémités de forme arrondie,
offrant l'aspect de traversins de lits. Les deux extrémités du sac étant clouées sur les flasques de la bobine. L'ouverture du sac
était au milieu, et avait l'aspect d'un entonnoir du même tissu. Le sac était rempli de poudre, non plus à l'état de pulvérin

humecté comme dans la méthode manuelle, mais en grains irréguliers, sortant des guillaumes. La fermeture du sac s'effectuait en
rabattant l'ouverture entonnoire en l'assujétissant par une cordelette embrassant le sac d'un tour ou deux. On mettait alors le système
en mouvement l'arbre en tournant faisait rouler les sacs sur le plateau garni de tasseaux qui les faisait ressauter, à la vitesse d'un
homme au pas. L'opération ne durait qu'une demi-heure, et vu le nombre de cas employés simultanérnent, la production était bien
plus importante qu'avec le sac de toile à la main.

Les poudres ainsi roulées, que ce soit à la main ou à la machine étaient tamisées pour éliminer le poussier et triées au moyen de
cribles, suivant leur grosseur. Les plus gros grains utilisés comme poudre à canon.

Si la réputation de la poudre de Berne a depuis longtemps franchi les frontières, depuis le début du XIX e sicle et l'instauration du
monopole de la Régie, elle était inconnue pratiquement en France, sauf par certains chasseurs des Alpes, qui avaient la possibilité
de s'en approvisionner en contrebande et ne s'en privaient point.

Cependant notre production nationale a eu elle aussi sa poudre à grains ronds, à gros grains, de la taille d'un petit pois, parfaitement
sphériques, mais dont les propriétés balistiques étaient bien éloignées de celles de la poudre suisse. Je veux parler de la poudre à mine.

La poudre à mine, vendue librement avant 1939 par les buralistes de campagne ayant un dépôt de régie, se présentait sous deux formes :
soit en gros grains anguleux, noirs et luisants, légèrement plus gros que la poudre à tirer n° 0, soit en grains ronds, gris foncé ou noir mat
de la taille d'un petit pois. Théoriquement cette poudre était un explosif de chantier que les carriers de village et les agriculteurs achetaient
au poids pour tirer la pierre ou de débarrasser de souches gênantes, et pour cela, elle était vendu quasi franche de droits. Pratiquement
si effectivement la plus grande partie de la poudre ainsi vendue servait bien à l'usage auquel elle était destinée, une quantité moindre, mais
cependant relativement importante était utilisée pour la chasse, et était la munition de choix de nombreux braconniers à cause de son bas
prix, employée le plus souvent avec comme projectile de la grenaille de fonte, ou "plomb de fer ". Au point de vue balistique, les résultats
étaient médiocres, la poudre à mine faisant surtout beaucoup de bruit et de fumée, et encrassant terriblement, surtout celle à gros grains
que l'on écrasait préalablement avec une bouteille sur une table. Souvent, pour pallier à ce défaut, les utilisateurs l'additionnaient de
chlorate de potasse, ce qui améliorait peut-être le rendement, mais en revanche en faisait un explosif assez dangereux, et causa de
nombreux accidents.

Une poudre semblable et de formule identique (salpêtre 62, soufre 20, charbon 18), est la " poudre de traite " qui se présentait également
sous les deux formes, mais le plus souvent sous la forme en grain ronds. J'ai toujours été persuadé que la différence avec la poudre à
mine ne consistait qu'en une question d'étiquette. La poudre de traite était une poudre de qualité inférieure, destinée à servir de monnaie
d'échange, ainsi que divers articles dits " de pacotille", dans les transactions commerciales avec les peuplades indigènes, en particulier
de l'Afrique. Le mot traite ne s'appliquant pas uniquement au trafic du bois d'ébène (ou manches de pioche"winking smiley, c'est-à-dire des esclaves,
niais à tout commerce d'échange (peaux, bois, gomme, ivoire, etc.) avec les autochtones des pays non civilisés. La poudre de traite,
article très apprécié, était la munition des " fusils de traite " , armes à pierre à canon long, généralement d'assez fort calibre, souvent
an bois peint en rouge vif, qui conservaient la forme traditionnelle héritée des fusils de boucaniers et qui se fabriquaient encore à Liège,
il y a une vingtaine d'années, étant les seules armes tolérées entre les mains des indigènes par certains gouvernements coloniaux.
Ces fusils, chargés à la diable, la poudre de traite se mesurant généralement dans le creux de la nain très approximativement,
provoquaient souvent de mauvaises surprises à leurs utilisateurs lorsqu'ils employaient la même méthode de chargeaient avec la
poudre à tirer véritable, employée par les européens.

La poudre de traite était également connue sur les côtes de France, sous le nom de " graine " ou poudre " de Terre Neuvas ", car les
terre-neuviers à voile d'avant 1939, les " banquiers " qui pêchaient aux lignes avec de légères embarcations : les doris, en emportaient
une certaine quantité (généralement un baril de soixante kilos), franche de douane, pour " tirer au perrier " par temps de brume, moyen
efficace pour signaler sa position aux embarcations égarées. Le perrier, en l'occurrence était souvent une vieille espingole ou une pièce
d'artillerie sur chandelier de faible calibre, souvent aussi, ce n'était qu'un vague tube de métal, parfois une boîte d'essieu de charrette,
enchassé dans un bloc de bois, ce qui provoqua souvent des accidents. Au retour des Bancs, lorsqu'ils arrivaient en vue des côtes de
France, les navires étaient fréquemment hélés par les petits bateaux de pêche côtiers avec qui ils échangeaient de la morue salée et
des pièces de vieille ligne contre du poisson frais. S'ils étaient chasseurs, ce qui était fréquent, les pêcheurs ne manquaient pas de
quémander de la poudre " Avez-vous de la graine ? Capt'aine " était la phrase courante, et la poudre restant de la campagne passait
par-dessus bord, généralement emballée dans des bouteilles, manne gratuite pour les fusils de pêcheurs-chasseurs.

Poudre de Berne et " graine " ont disparu maintenant de la circulation, le peu de poudre noire à mine qui se fabrique encore, et pour
peu de temps sans doute devant la concurrence des explosifs chloratés est à grains anguleux ou comprimée en cartouches. Il est
regrettable pour les amis des armes que personne n'ait songé à garder des échantillons des vieilles poudres. Peut-être est-il encore
temps, on trouve encore des vieilles poires à poudre à demi pleines, parfois, mais plus rarement des vieilles boîtes d'origine presque
complètes. Il y aurait autant d'intérêt dans cette collection que dans celle des vieilles cartouches, genre peu pratiqué en France, mais
très en faveur outre-Atlantique. De toute façon, l'intérêt que présente une arme se trouvant accru si elle est présentée avec ses
munitions originelles.


C'est l'esprit qui mène le monde et non l'intelligence
Antoine de Saint Exupéry
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Re: La poudre noire il y a quinze années
la source est :

[chasse-tir.ifrance.com]
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Membre depuis : il y a dix huit années
Messages: 5 185
Membre donateur
Re: La poudre noire il y a quinze années
Citation
aimé
la source est :

[chasse-tir.ifrance.com]

Merci Aimé


Avant de voir vers où tu vas, regarde d'où tu viens.
Le succès : Obtenir ce qu'on veut --- Le bonheur : Profiter de ce qu'on aime.
Pour être vieux et sage, il faut avoir été jeune et fou !!!
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...Et la meilleure manière de ne pas mourir, c'est encore de vieillir, hé oui...
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Membre depuis : il y a treize années
Messages: 1
Re: La poudre noire il y a treize années
Bonjour,
Bravo pour votre site très documenté.
J'effectue actuellement une étude sur l'extraction du soufre en Provence au 19e siècle (mines des Camoins à Marseille ou d'Apt).
J'ai vu sur le net une référence à un ouvrage de Surrey de Saint Rémy "Mémoires d'artillerie" qui indique que du soufre français aurait été utilisé au 18e, ce qui reculerait la date de la découverte du soufre en France (ce soufre était qualifié par les artilleurs de soufre gras et déconseillé pour la fabrication de la poudre).
Ce passage serait inserré dans le tome 2, 3e édition 1745, page 310.
Compte tenu de vos connaissances sur la poudre noire et de votre documentation, quelqu'un pourrait-il m'indiquer s'il a connaissance de cette information et par la même occasion ne citer le passage.
Merci par avance
Jeanroger
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